Père Émilien Tardif
Padre Emiliano Tardif

Viajero de Dios

Adrienne Tardif

Sr. Adrienne Tardif et Maria A. Sangiovanni


M. l'abbé Rancourt, Pour répondre à votre désir, j'essaie de fouiller dans ma pauvre mémoire les souvenirs que j'ai conservés touchant ma grande soeur Aurélie, née le 1 0 mars 1922, décédée le 14 juillet 1941. Je veux être le plus exacte possible mais j'avais alors 9 ans. Ma mémoire est loin d'être fidèle. J'essaie d'exprimer mes souvenirs dans la famille avec mes frères et soeurs et ceux qui m'ont été racontés.


1.Départ de la famille pour l'Abitibi
2. Émilien à l'école en Abitibi
3. Maladie de maman
4. Juillet 1941 : Vacances de Frère Armand , Arrivée d'Aurélie
5. Décès d'Aurélie
6. Aurélie travaille au ciel
7. Famille en deuil

Sr. Adrienne Tardif 24 juin 2008
par YR ptre


1 Départ de la famille pour l'Abitibi.

2 ième maison des Tardif ( Rapide Danseur , Abitibi )

 

À l'été 1940, la famille quittait Saint Zacharie de Beauce pour aller comme colonisateur en Abitibi. Aurélie (17 ans) avait encore une année comme étudiante à l'École normale de Beauceville où elle se préparait à devenir institutrice. Le cours complet durait 2 ans. Alors elle ne suivit pas la famille mais demeure avec Rose pour terminer son cours d'institutrice. Elle allait passer les congés chez Rose à Saint Côme cette année-là. C'était éprouvant pour les parents de laisser 3 de leurs enfants : Armand à Québec, Rose et Aurélie dans la Beauce. Les voyages étaient difficiles et dispendieux ces années-là. En Abitibi, la colonisation se faisait dans la pauvreté. Le travail de défrichage sur des terres en bois debout exigeait beaucoup : déboiser, construire une maison, enlever les souches, se préparer un jardin et organiser la ferme. Toute la famille collaborait aux travaux, chacun selon ses possibilités. Je me souviens d'avoir vu mon père et mes frères très fatigués le soir. Le problème des loisirs n'existait pas.

2. Émilien à l’école en Abitibi
Au Rapide-Danseur, notre maison était à 2 milles de l'école. Une bonne marche matin et soir. En hiver, Émilien nous traçait le chemin dans la neige en marchant le premier devant nous. Il y avait une seule école, seule classe pour les dites six divisions. Émilien était le seul en 6e année. Trop souvent, l'institutrice s'en servait pour différentes besognes, lui confiait de faire la lecture aux petits de l'e et 2e année. Souvent aussi, elle l'envoyait soigner les gros chiens qui servaient de véhicule à monsieur le Curé quand il allait visiter les malades. Émilien, très obéissant, remplis- sait toutes ces fonctions mais le problème, c'est qu'il ne remplissait pas le contenu du programme scolaire, et il en souffrira beaucoup quand il arrivera au collège. Dans la paroisse, il ne pouvait pas aller plus loin pour les études.

3. Hiver 1941 La maladie de maman Au cours de l'hiver, maman qui attendait son 14e enfant a été hospitalisée, très malade et on parlait d'un danger de mort. Je me souviens de la tristesse de papa inquiet. J'ai la copie d'une lettre que maman a réussi à écrire à Aurélie à l'École normale, pendant ces jours où elle envisageait la mort. <> (C'est toujours avec émotion que je relis cette précieuse lettre tracée de sa main à l'hôpital). Aurélie a communié à cette inquiétude qui remplissait le coeur de maman malade. Dans sa ferveur de jeunesse, elle a demandé au prêtre aumônier si elle pouvait s'offrir au Bon Dieu pour mourir à la place de maman. Il semble que ce dernier n'y accorda pas d'importance. «C'est le Seigneur qui détermine l'heure de notre mort» dit-il. Une compagne d'étude nous a confié qu'Aurélie lui avait fait la confidence d'être allée à la chapelle pour offrir le sacrifice de sa vie à la place de maman, sous prétexte qu'elle trouvait la vie de maman plus utile que la sienne. --- C'était en février, elle est décédée en juillet. (Voir plus loin). --- Maman a pris du mieux, est revenue à la maison faible, mais son retour a ressuscité la joie dans la maison, après le vide vécu ensemble, en son 'absence du foyer

4. Juillet 1941 -. Vacances de notre frère aîné Armand.

fr Louis tardif et père Émilien Tardif
fr. Armand Tardif


Arrivée d'Aurélie en Abitibi Aurélie a terminé son cours d'institutrice en juin. Elle viendra enseigner en Abitibi. Après tous les sacrifices faits pour assurer ses études, la famille attend beaucoup d'aide de son salaire. Et avec une naïve illusion, elle se promettait bien d'aider tout le monde. C'est alors qu'Émilien a confié à Aurélie son désir d'aller au collège pour faire un missionnaire. Elle a accueilli son projet avec joie, et s'est engagée à lui aider pour réaliser son rêve. Au début de juillet 1941, Frère Armand prend ses vacances données par sa communauté. Il vient de Québec avec Aurélie par le train. La famille est réunie. Ce sont des jours de fête. La période de vacances est terminée, Armand retourne dans sa communauté à Québec.
Il apporte le secret d'Émilien qui veut tant être missionnaire. Armand se propose de collaborer à sa façon en communiquant la situation à ses supérieurs pour solliciter de l'aide. Aurélie, de connivence avec lui, s'engage à payer tout ce qu'elle pourra. Dans le goûter qu'elle a préparé à Armand pour son retour par train, elle insère une petite lettre fraternelle : «Bon appétit (... ) pour Émilien, fais ton possible, je ferai le reste., Aurélie comptait sur son salaire de professeur et sur l'indulgence de la communauté des Missionnaires du Sacré-Coeur. Armand était cuisinier en charge au collège. Le complot Armand et Aurélie était ainsi conclu entre eux pour favoriser Émilien. Mes parents y percevaient un plan de la Providence et ne s'opposent pas au projet. Peut-il y avoir un c< prêtre >> dans notre famille ? Ce serait si consolant pour eux.

5. Décès d'Aurélie

Le 14 juillet 1941, par un bel après-midi ensoleillé, mes trois soeurs : Yvonne, Aurélie et Irène avec une amie partent en chantant pour aller visiter l'école du rang de l'autre coté de la rivière C'est là qu'Aurélie enseignera en septembre. La traversée de la rivière se ferait en chaloupe l'été, et sur la glace en hiver. Pendant que les 4 visiteuses examinent les pauvres locaux de l'école, des enfants jouent sur la chaloupe. Une planche se décloue. lis la retapent à la main, rien ne paraît, et ils n'en disent rien sachant bien qu'ils avaient mal fait en jouant et brisant la chaloupe. Or en revenant, au milieu de la rivière, cette planche cède. L'eau remplit la chaloupe qui renverse. Toutes sont menacées de noyade. Elles crient au secours, s'accrochent au siège à la chaloupe. Un cousin entend les cris désespérés. Il se rend vite avec son canot pour sauver les quatre en danger. Aurélie essaie de nager. Elle calle dans l'eau et ne remonte pas. Quelle épreuve pour la famille ! Quand le curé de la paroisse annonce à maman ce décès d'Aurélie, elle lui répond : «Le Bon Dieu nous l'avait prêtée, il l'a repris. Il doit en avoir plus besoin que nous autres.- Maman vivait ce drame un mois avant la naissance de Gilles, son 14eenfant. Sa santé était fragile. Vers 7 heures du soir, les draveurs ont repêché le corps de ma soeur Aurélie.

lis l'enveloppent dans un drap et la ramènent à la maison. Ils la déposent dans la chambre de maman. Je me souviens que son retour dans la maison a vu couler bien des larmes. Celle qui revenait muni d'un diplôme lequel avait demandé tant de sacrifices à la famille. Celle qu'on avait tant hâte de retenir au milieu de nous. Celle sur qui chacun de nous comptait pour des petits bonheurs : Aurélie n'est plus avec nous. Ce souvenir reste pour nous une grosse épreuve vécue appuyée sur la foi de nos bons parents. Des dames voisines ont fait la toilette mortuaire de ma grande soeur, pendant que mes grands frères installent les panneaux nécessaires recouverts d'un drap blanc pour y déposer le corps de notre chère Aurélie.
On l'expose revêtue de sa robe noire de couvent avec son beau ruban bleu d'enfant de Marie sur ses épaules. Mes frères avec des voisins se hâtent de fabriquer le cercueil de bois peint en noir. Le salon mortuaire, c'était un coin de l'entrée de la cuisine. Là on s'est rassemblé pour prier le jour et la nuit, sans bruit. C'est pour moi à l'âge de mes 8 ans un événement inoubliable. On m'a raconté qu'Émilien regardait Aurélie dans son cercueil. Avec tristesse, il dit à Maman : «Pour moi, c'est fini,@. Ses espoirs missionnaires semblaient évanouis, ses projets de collège aussi. Maman l'a consolé en disant . <> Un agronome ami s'est chargé d'envoyer l'information par courrier aux absents. Armand et Rose reçoivent la lettre alors que les funérailles d'Aurélie sont passées. La poste étant le seul moyen de communication pour les pauvres que nous étions.

6. Aurélie travaille au ciel
Quand Armand reçoit la lettre à Québec, dans la peine de perdre sa petite soeur qu'il vient de laisser, il pense aussi à Émilien. Il va rencontrer son supérieur, lui montre la petite lettre qu'Aurélie avait glissée dans son goûter de voyage, et qu'elle terminait ainsi : «Pour Émilien, fais ton possible et moi je ferai le reste.>> Émilien a toujours affirmé que du ciel, Aurélie l'a aidé plus qu'elle n'aurait pu le faire avec son petit salaire d'institutrice. Elle a vraiment a <> Émilien nous disait voir un événement providentiel en ce que c'est la seule année où le collège de Beauport, où il est allé, n'exigeait pas un certificat de 7e année comme condition d'admissions. Il n'aurait jamais pu y entrer avec sa pauvre petite 6'année. De plus, Émilien se présentera au collège sans avoir vraiment rempli son programme de 6eannée.

7. La famille en deuil

 

  fr. Louis Tardif

Adrien et sr. Adrienne


Après le décès d'Aurélie, mes soeurs qui étaient aussi tombées à la rivière près de se noyer, étaient aussi malades -. pneumonie, tuberculose et sanatorium. Ce sont des souvenirs lointains. Maman attendait son 14' bébé pour le 15 août. Elle a dû aller à l'hôpital. Les hommes travail- laient aux foins. C'est Émilien qui est devenu notre cuisinier. Je me souviens qu'un cousin est venu lui enseigner comment faire le pain. Il en avait des bouches à nourrir. Heureusement qu'il était vaillant et débrouillard à 13 ans. Il remplissait une tâche qui dépassait son âge. On se souvient qu'Émilien ne répondait pas aux reproches. Il manifestait déjà de la patience et de l'humilité. Maman revient de l'hôpital affaiblie, en deuil de son petit bébé, et de notre chère Aurélie dont la douleur reste bien présente à la maison. Tant d'espoirs et de projets évanouis. Armand avait préparé et facilité l'admission d'Émilien au collège. Celui-ci lui en fut toujours reconnaissant.

Accompagné d'un voisin, Émilien prend le train pour Québec. Personne n'avait pu lui préparer un trousseau comme cela aurait dû. Il part avec rien. Armand va le chercher à la gare pour l'amener avec lui au collège. Après quelques visites dans la maison, Armand le laisse aller rejoindre les autres jeunes étudiants au jeu. Émilien, assis en arrière d'un arbre, regardait les collégiens au jeu. Il avait tout à apprendre pour jouer lui aussi à ces jeux là. Le Père Supérieur se promenait en priant dans une allée près de là.
Le Père Économe venait de constater qu'Émilien n'avait pas de trousseau comme les autres pensionnaires. Émilien entend l'économe informer le supérieur . << Il est arrivé un petit pauvre de l'Abitibi. Il n'a absolument rien comme trousseau. Qu'allons-nous faire ?. >> Émilien a compris que c'est de lui qu'il s'agissait. Il prend bien garde de bouger ( ... ), et ne respirait pas fort caché en arrière de son arbre. --- Le Supérieur répond : <> Surprise ! Quand Émilien arrive au dortoir, il trouve sur son lit le trousseau demandé aux pensionnaires : serviettes, pyjamas, chemises, pantalons, brosse à dents, etc ... Il nous a souvent raconté cette générosité qu'il avait tant appréciée sans trop savoir qui l'avait secouru. C'est ainsi qu'Émilien a commencé ses études au collège. On devine bien que souvent il a essuyé des humiliations en raison de sa pauvreté matérielle et de ses faibles notes aux examens.

Émilien aimait beaucoup sa famille. Il nous écrivait souvent, restait très intéressé à ce que chacun vivait. Je me souviens qu'au dernier Noël, avant d'entrer au noviciat, il est venu passer les vacances en Abitibi alors qu'il allait habituellement dans la Beauce chez ma soeur Rose par souci d'économie du voyage. Quel bonheur nous avons vécu ensemble cette année là ! Il nous apportait des histoires, des jeux, des taquineries toutes neuves. Je me souviens qu'une année, il avait échoué son examen d'algèbre. Pendant les vacances d'été, pendant que les autres se reposaient du lourd travail de la ferme auquel il avait participé lui aussi, il allait s'enfermer dans une chambre pour travailler cette matière pour une reprise prévue en septembre. Personne dans la paroisse ne pouvait l'aider. Ce qu'il a travaillé J'ai vu souvent Émilien prier Notre-Dame-du-Sacré-Coeur. Cette dévotion d'Armand et d'Émilien a été répandue chez tous les membres de la familles

 

 Yves Rancourt pte , 24 juin 2008

Programmation: Patrick Allaire, ptre
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